BR 01
Une jeune icône
C’est l’histoire d’une marque que tout le monde imagine pré-centenaire alors que c’est la prime jeunesse qui l’anime encore. C’est l’histoire d’une montre qui n’a pas attendu d’être redécouverte pour être reconnue. C’est l’histoire de monomaniaques au pluriel. C’est surtout l’histoire de deux copains et d’une Belle & Riche aventure.
Il était une fois Bell & Ross et la montre BR 01.
J’ai rencontré Bruno Belamich, le Bell donc, lors de mes études de design à l’E.n.s.c.i. (École nationale supérieure de création industrielle) à Paris à la fin des années 80. Le garçon est d’un abord très sympathique, suffisamment pointilleux et ouvert d’esprit pour attirer l’attention. En janvier 1994 il soutient son mémoire de fin d’étude “Le design : une méthode au service de l’entreprise“ et le projet associé qui portait sur le corporate design d’une marque horlogère.
Paradoxalement, la thématique et son approche ont été accueillies très fraîchement par le staff de notre école. Déjà à cette époque, l’encadrement pédagogique préférait des sujets plus conceptuels au risque d’éloigner les élèves d’une double réalité commerciale et industrielle à laquelle pourtant ils avaient à faire dès leur sortie de l’école. Un paradoxe apparent, qui n’en n’est pas un, quand on connaît la dimension “hors-sol“ des enseignements artistiques en France… Mais Bruno n’est pas homme à se laisser impressionner et, épaulé par son directeur de projet, le designer Marc Berthier, il a fini par convaincre son jury et repartir avec son diplôme dûment tamponné. Il faut dire que ce n’était pas une simple tocade de tocante. Le projet avait muri pendant deux ans, période durant laquelle il a créé sa propre marque horlogère en entraînant son ami de lycée Carlos-Antonio Rosillo, le Ross donc, diplômé HEC, et contacté une figure singulière dans le monde de l’horlogerie, le fabriquant allemand Sinn. Helmut Sinn est un pilote d’avions en tous genres et fondateur de la marque éponyme connue dans le petit milieu des montres d’aviateur d’alors.
C’est là que l’aventure commence vraiment.
En découvrant la qualité des produits fabriqués par cette petite entreprise, très vite l’idée vient au duo d’assurer la distribution de Sinn pour la France. Pour des raisons de marge, l’hyperactif et vénérable Helmut Sinn (77 ans alors) leur suggéra plutôt de le faire avec leur propre marque, ce qui fait que les premières montres distribuées seront signées Bell & Ross by Sinn.
Les premiers cadrans étaient cosignés avec Sinn, le fabricant allemand.
La première gamme est constituée en mars 1994 d’une vingtaine de modèles résultant d’un assemblage à partir d’éléments déjà produits par la petite fabrique de Francfort-sur-le-Main.
Les références dont s’inspirent ces premiers modèles tournent clairement autours des montres militaires, des instruments de bords d’avion mais également des premières montres dessinées par Ferdinand Alexander Porsche au début des années 80 et quelque peu tombées dans l’oubli à cette période.
La Porsche Design Chronograph 1 (ou PD01) première montre dessinée par Ferdinand Alexander “Butzi“ Porsche en 1972.
Malgré la contrainte de ne devoir utiliser que des pièces existantes, l’ensemble est déjà très cohérent car développé avec beaucoup de goût et d’intelligence. Présentées à quelques distributeurs parisiens pointus, le duo se rend compte que les montres plaisent et, en 1995, au salon de Bâle, effectivement la gamme s’arrache littéralement en lançant définitivement Bell &Ross dans le paysage horloger mondial.
La gamme Bell & Ross au salon de Bâle de 1995.
Réussir un départ aussi fulgurant ne veut pas pour autant dire gagner la course car le problème du financement pour développer la suite se pose alors rapidement.
C’est là qu’il faut avoir aussi un peu de chance et rencontrer les bonnes personnes au bon moment, en l’occurrence les propriétaires de Chanel qui investissent dans la marque en 1997 et donnent vraiment les moyens aux deux fondateurs de la développer en visant le long terme.
La démineur à quartz ETA 955 de 1996 qui n'a pas pris une ride.
Ce développement passe notamment par l’obligation d’ouvrir la gamme et Bruno dessine alors un modèle vintage qui donnera naissance, en 1997, à une gamme spécifique plus classique restant malgré tout fortement ancrée dans l’univers aéronautique.
La marque réussit à traverser les crises de la fin des années 90 (guerre du Golfe, crise boursière) sans dévier de son positionnement marketing et, en 2005, sort la fameuse BR01.
Naissance d’une icône.
Les prémices du lancement datent de 2003, l’objectif est de traduire dans une montre, la synthèse de ce que la marque a mis en place en termes de communication et de positionnement. Une montre militaire, une montre d’aviation, une montre outil. Or, depuis le début, trône sur le bureau de Bruno Belamich une montre de bord d’avion. Les deux associés comprennent alors qu’il faut aller à l’essentiel et reprendre le design de cette horloge pour l’adapter au poignet car l’objet résume parfaitement la philosophie de la jeune marque : une montre d’ingénieur où la fonction crée la forme.
La montre de bord d’avion inspiratrice de Bruno Belamich.
Bien sûr, une simple réduction homothétique ne suffit pas à en faire une montre portable et Bruno va aller chercher son ancien professeur Marc Berthier, fondateur de l’agence de design Elium Studio, pour l’aider à affiner la chose. Partant du brief extrêmement cadré, pour ne pas dire carré, de Bell & Ross, l’agence et notamment un de ses talentueux piliers, Frédéric Lintz issu lui aussi des rangs de l’E.n.s.c.i., va dessiner des évolutions qui s’approcheront de la version finale que l’on connaît sans toutefois y parvenir complétement.
Les dessins d’intention du brief de départ avec l’idée de faire un système combinable plutôt qu’une simple montre.
Un des premiers proto…l’idée est là, mais pas l’élégance !
La dernière étape sera en fait liée à la confrontation avec les impératifs de production assurés par la société G&F Châtelain à La-Chaux-de-Fonds (dont CHANEL est propriétaire) et le souci du détail particulièrement aiguisé chez Bruno Belamich.
Tous les éléments sont pensés par Bruno Belamich jusqu’aux plus petits détails
En 2005 donc, le staff Bell & Ross débarque au salon de Bâle avec la montre enfin terminée et tout de suite la proposition fait débat car même si elle répond en tout point au brief de départ : une lisibilité optimum - graphisme blanc sur fond noir - dans un boitier remarquable - un rond dans un carré avec quatre vis - l’approche est volontairement clivante.
À l’époque, on adore ou on déteste !
La première BR01 présentée au salon de Bâle de 2005.
La dimension également perturbe le marché (46mm quand même !) si bien que très rapidement des déclinaisons plus petites, 42 puis 39 mm, vont être développées mais sans changer l’approche à la fois radicale et minimaliste qui perdure encore aujourd’hui et qui a fini par construire les fondamentaux de la marque tout en assurant son succès commercial.
Aujourd'hui, fraîchement débarquée sur un marché très encombré, c’est la BR05 qui est à l’honneur mais qui sait ce que son succès, déjà assuré, doit à une belle horloge de bord collectionnée par un designer aussi discret qu’obsessionnel ?
La BR05, descendante de la BR01 mais traitée plus en bijou.
Bruno Belamich, un designer aussi intransigeant sur les détails que sur l’image globale de sa marque
Mais, au fait, dans dans une BR01, il y a quoi au juste ?…Et bien, jusqu’à présent, les mouvements, qui représentent entre 25 et 40% du prix de revient d’une montre, étaient assemblés par l’incontournable ETA…sauf que SWATCH GROUP, le propriétaire de ce fournisseur omnipotent, a décidé récemment de garder sa production pour les seuls besoins internes des marques du groupe (qui sont colossaux il est vrai). Du coup, Bell & Ross a été obligé de changer son fusil d’épaule et a décidé de faire appel à la valeur montante des fournisseurs de calibres, la société Sellita, située dans le cœur de l’horlogerie Suisse à La-Chaux-de-Fonds.
Le mouvement ETA utilisé jusqu’à aujourd’hui sur la BR01.
Réussir à créer une montre icône en partant d’un archétype horloger est loin d’être facile. Le risque est grand d’un sur-dessin anecdotique ou de perdre l’essence de la référence de départ. Bref, il a fallu beaucoup de talents conjugués pour résoudre cette quadrature du cercle en fusionnant un rond dans un carré !
Steve Desk 18/11/2021