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ROLEX & LE MANS

À l'heure dite

Et si on s’offrait un cadeau pour le centième anniversaire de la mater endurante de toutes les courses au long court ?
Oui, en 2023, nous fêterons les 100 ans de cette course mythique et mythifiante.
Pas la centième édition, bien sûr, car il y a eu quelques ratés : 1936 avec les grèves du Front Populaire et l’arrêt des compétitions de 1940 à 1948. Cela fait quand même de cette épreuve, la plus ancienne au monde, même si elle ne fut pas la première puisque le Bol d’or lui grilla la politesse en débutant un an avant, en 1922 donc.
Disputée généralement la 24e semaine de l’année, cette course si particulière doit sa force et sa résonance aux histoires grandes et petites, tragiques et oniriques qui s’y sont déroulées.

Depuis 2001, Rolex est partenaire des 24 Heures du Mans en qualité de « Montre Officielle ». À ce titre, une sublime montre Rolex personnalisée est offerte aux vainqueurs. Car au Mans, arriver est déjà une victoire mais une victoire prouve que l’on est arrivé.

La Rolex de Kamui Kobayashi vainqueur en 2021.

Jusque là c’est logique et très valorisant, j’imagine, pour les récipiendaires. D’ailleurs, quel collectionneur ne se damnerait pas pour posséder le chronographe d’un pilote victorieux ? (lien vers post sur les montres de pilotes)

Le hic, il me semble, c’est que le cadeau en question soit un modèle Cosmographe Daytona… autre grande course d’endurance certes, mais beaucoup plus récente, puisque de 1962 et américaine. C’est un peu comme si le champagne du podium venait de Californie !

Considérant le potentiel des deux marques Rolex et 24H du Mans, il serait peut-être judicieux de profiter de l’anniversaire à venir pour présenter un nouveau chronographe inspiré de la course mancelle, non ? En marketing ça s’appelle du co-branding mais on pourrait parler plutôt d’une opportunité symbiotique. Nouveau vraiment ?… En fait, et c’est totalement oublié même par les “connoisseurs“ abreuvés uniquement aux pages Google, la première référence Rolex Cosmographe 6239 de 1963 s’appelait officiellement… Le Mans ! L’histoire raconte (mais qui raconte l’histoire ?) que devant la faiblesse des ventes, elle fut rebaptisée “Daytona“, référence finalement plus parlante au patriotisme des américains qui faisaient, alors, le gros du marché.
Phénomène d’acculturation classique, une fois encore les États-Unis nous renvoient avec force symbolique et marchande, une idée qu’ils ont empruntée aux Européens.

La première “Daytona“, une 6239 qui s'appelait officiellement Le Mans !
À noter, le prix de vente de 210$ en 1963 soit, + 45000% en 60 ans, vous avez dit inflation ?

Comme nous ne reculons devant rien, nous avons voulu imaginer ce que pourrait être cette nouvelle Rolex cosmographe Le Mans. Une montre chronographe forcément et chronomètre bien sûr.
Nous avons donc demandé au designer Stéphane Bureaux de se pencher sur la question. (lien avec le site www.stephane-design.com).

Le designer explique :
“Pour son architecture, quand on est une grande manufacture, il n’est pas utile de se démarquer par une approche baroque ou ostensiblement décalée.
L’idée est de faire simple, cohérent, mais singulier et de surtout puiser dans son riche patrimoine avec élégance. “

Une des esquisses de départ…

Les premières 3D, tout reste à faire…

Dans un premier temps, l’important c’est d’avoir une vision ! Elle se nourrit de tout ce qu’on peut absorber comme références, comme expériences et se confronte à un existant et à une réalité d’usage ; on ne crée jamais ex nihilo. Le siècle horloger écoulé a fourni son lot de propositions qui, pour quelques-unes, ont fait référence, voire école. Rolex fait, bien sûr, partie des marques prolixes en la matière. Pour ce projet, la galaxie Daytona a fourni le fil rouge. Plus particulièrement une référence, la 6238, considérée par les amateurs comme une pré-Daytona.
Monochrome, un graphisme qui tient essentiellement dans l’échelle tachymètrique qui entoure son cadran au brossage rayonnant (dit brossé-soleil), des index en relief facettés associés à des plots de tritium luminescent, un boîtier sans épaulement et un diamètre contenu (36mm). L’ensemble est d’une rare élégance… ce n’est pas James Bond qui me contredira puisqu’elle ceint le poignet viril, mais sensible, d’un 007 oublié : l’acteur George Lazenby dans “On her Majesty’s secret service“ sorti en 1969. À noter que la véritable montre du film a appartenu à un pilote français… comme quoi !

L'approche monochrome très pure de la Pre-Daytona 6238.

Récemment, “Artisans de Genève“ officine suisse spécialisée dans la customisation de Rolex, a réinterprété une Daytonna 6263 (modèle Albino) qui a également servi de point de repère. À noter que ce groupement d’artisans puise intelligemment dans le répertoire Rolex pour réinterpréter les icônes de la marque un peu à la manière d’un Rob Dickinson pour les Porsche avec sa marque Singer.

Une Daytonna 6263 à la sauce - blanche- des Artisans de Genève.

Ensuite, il y a la technique sans quoi le rêve est vain.
Avec mon ami Eric Blondin qui a modélisé la montre, nous avons d’abord acheté sur le net un modèle 3D suffisamment détaillé. La phase suivante a consisté en une opération de déconstruction-construction sur cette base numérique. Exactement comme dans la customisation d’un objet physique (moto, auto, etc.), certains éléments sont jetés, d’autres sont tronçonnés, ressoudés ou déformés et d’autres enfin (ici les aiguilles par exemple) doivent être totalement re-modélisés.

Modèle 3D filaire, une construction virtuelle mais précise.

Le graphisme qui est l’une des clefs d’un design horloger réussi, est abordé avec une spécificité due à l’échelle de l’objet plus proche du bijou que de la voiture. Par rapport à l’approche graphique qui préside à la réalisation d'un magazine par exemple, sur un cadran de montre il faut grossir ce que l’on aurait tendance à réduire et rapprocher ce que l’on serait tenté d’éloigner.
Il ne s’agit pas forcément d’en faire trop car le mauvais goût guette, mais traduire la juste place des différents éléments pour que les espaces vides ne traduisent pas un manque.
Les fonctionnalités des logiciels de 3D sont surprenantes : ainsi le graphisme, justement, permet par plaquage sur la surface numérique (le maillage) de déformer cette surface et de traduire un effet d’empreinte (estampage) ou de relief. Enfin, une fois le modèle terminé il faut, pour pouvoir visualiser les options formelles choisies, lancer une opération de rendu. En choisissant les bonnes matières (opaques, transparentes), en travaillant sur les finitions (mat, brillant satiné, brossé, etc.), sur les couleurs et après avoir installé une scène, exactement comme un photographe de studio pourrait le faire, on laisse alors l’ordinateur mouliner.
En général, il est tard. Le temps passé en ajustements fait que les heures de travail s’accumulent insidieusement. Le résultat, jamais satisfaisant du premier coup, donne la mesure de ce qu’il faut alors reprendre ou garder et oblige à réitérer les opérations que l’on vient d’énoncer.
C’est fastidieux et demande à être “légèrement“ obsessionnel, mais devient grisant lorsque le résultat approche et souvent dépasse ce que vous aviez imaginé plus ou moins précisément en vous rasant le matin.

Alors, au final et après les inévitables évolutions sur un tel projet, il est comment ce rêve horloger ?
Il est rond, toute autre forme serait vaine. On parle bien d’une ronde infernale qui anime ce week-end de course annuel. Les aiguilles sont à leur place et la lecture de l’heure reste classique. Mais, comme il s’agit de célébrer un tour d’horloge, il y a un guichet à 6 heures où l’on peut lire les heures, les 24 heures. Au-delà de la complication horlogère, on peut aussi y reconnaître le numéro apposé sur les carrosseries des voitures depuis la première course automobile, le Paris Rouen de 1894… Le rapprochement n’est d’ailleurs pas si abscons puisque pour la course Italienne des Mille Miglia, les numéros d'engagement inscrits sur les véhicules correspondaient à l'heure de départ du concurrent.

Le guichet à 6h qui égrène les 24 heures fatidiques.

Le système de remontoir a migré à gauche même si cela n’en fait pas forcément une montre de gaucher, plutôt une montre pour ceux qui pilotent et ceux qui pilotent savent qu’il est très désagréable de ressentir le remontoir de sa montre s’enfoncer dans le dos de la main quand le poignet un peu crispé s’échine à maîtriser le coup de volant qui doit, c’est sûr, vous assurer une trajectoire parfaite.
Libéré de ces contraintes mécaniques, l’épaulement qui traditionnellement protège la couronne de remontoir n’a plus lieu d’être et c’est autant de gagné pour l’élégance générale recherchée.
Les deux poussoirs restent seuls à droite comme un clin d’œil aux vrais chronomètres du temps des vrais chronométrage manuels.

J’ai toujours trouvé cette architecture particulièrement équilibrée et fonctionnelle. On la retrouve sur le fameux calibre 11 et ses dérivés (12.14.15) qui ont équipé à partir de 1969 les Heuer (sur la première Monaco), Breitling et Hamilton puis, plus tard, les Bulova, Kelek, Zodiac, Elgin et autres Stowa…

Les poussoirs à 2h et 4h des calibres micro rotor Buren, ici un calibre 12 équipant une Heuer Autavia 112.603 de 1983.

Reste le cas de l’aiguille des secondes pour le chronomètre.
Traditionnellement mise en avant comme le marqueur ultime du temps qui échappe, elle trône en général au centre et s’étire au plus près de l’échelle tachymètrique. Et bien la tradition est respectée, elle y reste ! En acier bleui comme ses acolytes des deux compteurs à 3 et 9 heures, elle a juste, à son extrémité, une petite pastille luminescente. Ainsi parée, elle se fait appeler joliment “lollipop“ par les connaisseurs.

La trotteuse de type "lollipop" en acier bleui.

Pour le graphisme, pas de révolution, il respecte la charte de la marque couronnée.
Voilà pour le principe, mais pour en faire un produit il reste tout à faire et notamment à définir des centaines de détails qui font toute la différence entre une belle montre et une montre d’exception. Exactement comme en course d’endurance et spécialement dans cette course mancelle où le diable (ou le bon Dieu !…) est définitivement dans les détails.

Gravé sur le rehaut, à la place de la frise Rolex légèrement ostentatoire, on trouve les noms des virages mythiques de la course mancelle.

Steve Desk le 18/06/2020