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YEMA…TRA

Montre YEMA…la montre MATRA !

L’autre jour, au hasard de mes rangements je suis retombé sur une de mes premières montre de marque ; une YEMA North Pôle, cadeau d’une amie chère.
C’était en 1986, je venais d’intégrer une école de design parisienne et la belle avait cassé son PEL juvénile pour satisfaire cette passion naissante qui ne m’a toujours pas quittée…elle !
YEMA, une marque qui, certes ne fait plus guère rêver aujourd’hui, mais qui, à l’époque, se targuait de produire avec succès des montres extrêmes pour des utilisations extrêmes. La montre en question, en Titane - une des premières utilisations dans l’horlogerie - avait été développée pour l’explorateur Jean-Louis Etienne et plus particulièrement pour sa tentative d’atteindre en solitaire le pôle nord en tirant lui-même son traîneau. Exploit qu’il réalisera le 14 mai 1986 après 63 jours de marche.
Mais avant de revenir sur cette montre, il faut revenir à l’histoire de la marque YEMA, cette marque bisontine qui épouse parfaitement l’histoire de la désindustrialisation de la France des années 70/80/90 (les trente peu glorieuses).
L’histoire commence comme une start-up d’aujourd'hui mais en 1948. Elle suit rapidement une progression forte et continue pour devenir un des deux acteurs majeurs de l’horlogerie bisontine…donc française ! (L’autre c’est LIP, à l’organisation industrielle plus intégrée et innovante, mais dont le naufrage est tout aussi symptomatique). Nous sommes en 1982, l’entreprise vends 2 millions de modèles par an, elle a plutôt bien pris le virage du quartz mais son fondateur, Henri Louis Blum, passe la main. Commence alors une période extrêmement complexe faite de cascade de prises de participations et de rachats où l’on croise MATRA (oui, les mêmes…), Richard Mille (oui, déjà…) et la politique industrielle française (oui, toujours…).
Ce que l’on a un peu oublié (surtout lorsqu’on est quadragénaire) c’est que la gauche arrivée au pouvoir en 1981 à, avant de rentrer dans le rang libéral 2 ans plus tard, pas mal chamboulé le paysage économique français en nationalisant - c’était dans le programme - quelques fleurons industriels. Dans son viseur notamment, les sociétés d’armements.
MATRA (Mécanique Aviation Traction) en fait partie, mais négocie semble-t’il une simple participation (majoritaire quand même) de l’état en échange de la création d’un pôle MATRA Horlogerie destiné à restructurer la mosaïque de marques et de sociétés plus ou moins indépendantes qui composent le paysage horloger français à cette époque.

La Matra-530-SX, beaucoup moins guerrière que les missiles du service défense de la firme française.

Précision importante, en 1982 le ministre de la recherche et de la technologie n’est autre que Jean-Pierre Chevènement qu’on appelait le député de l’horlogerie dans son fief belfortain !
Le hic, c’est que si la société MATRA a gagné à la hussarde ses galons dans la course automobile des années 70, elle s’est lamentablement vautrée en matière d’horlogerie la décennie suivante. Sur le papier, ses compétences en micromécanique et en électronique faisaient sens, mais l’absence de vision marketing forte, la suffisance d’un management sous X (l’école des sachants…) et l’hétérogénéité des sociétés horlogères du groupe dont la plupart étaient, avant la fusion, encore dirigées par les membres des familles fondatrices (…et souvent concurrentes !) ont eu raison de cette belle idée théorique et politique.

Un moteur V12 à la mécanique d'horlogerie mais de là à savoir faire des montres…

En endurance comme en monoplace l'équipe Matra des années 70 a démontré tout son talent, mais dans l'horlogerie par contre…

En 1988, fin des nationalisations, MATRA retourne à ses missiles et vend l’ensemble à Seiko qui se sert dans les pépites industrielles et laisse le reste (dont YEMA) en jachère. Après un ultime rachat en 2004 par un Français et une association pour le moins hasardeuse avec un groupe chinois, l’entreprise YEMA cesse définitivement en 2009.

Vous avez l'heure ?

La même année, seule la marque YEMA, vidée de sa substance industrielle, est finalement rachetée par un groupe français et tente depuis lors pathétiquement de renouer avec son passé en lançant des rééditions plus ou moins serviles de ses modèles emblématiques qui ne parlent plus à personne. Il est assez cocasse de voir que, par des chemins différents, LIP en est arrivé exactement au même point en ne cessant de rabâcher son passé oublié.
Pour l’anecdote, le directeur technique actuel de Bell & Ross, la marque créée par mon copain d’école, le designer Bruno Belamich (le Bell…) n’est autre que l’ancien chef de marque YEMA chez MATRA. Décidément, le monde est petit et légèrement consanguin dans l’horlogerie…

Mais revenons à ma YEMA North Pôle !
Avant toute chose, il faut rendre à César sa montre et préciser que la série des Yema North Pole faisait partie d'un ensemble de montres extrêmes imaginées sous l'instigation d'un certain…Richard Mille. responsable marketing et commercial de YEMA à cette époque.

Yema North Pole 1 ère édition de 1986.

Pointez la flèche des heures vers le soleil et vous avez les quatre coins cardinaux.

Même la boucle en titane est signée Jean-Louis Etienne.

Du texte fleurant le solide mais en réalité, une fiabilité très délicate.

No comment !

Construite en titane pour la légèreté et la résistance au froid, sa caractéristique principale est d’avoir un cadran en 24 h et une grande aiguille des heures qui donne le nord. Si la raison est évidente - une boussole est inopérante aux pôles – le fonctionnement est moins connu. Une fois la montre réglée sur l’heure locale réelle (heure solaire), il suffit de pointer l’aiguille vers le soleil pour avoir directement la direction du nord (sur l’index à 12h).

Yema North Pole 2 ème édition.

Yema North Pole 3 ème édition.

L’idée était bonne et la montre plutôt bien dessinée, son esthétique ayant bien résistée au temps je trouve, mais sa conception était plus critiquable. Comme l’avoue lui-même Richard Mille : « Le problème est venu du fait que l’on avait une aiguille assez grande donc assez lourde, en fait elle pompait énormément d’énergie et au bout de 6 mois il fallait changer la pile ». Depuis, l’homme a développé une marque au ticket d’entrée délirant sur la base d’une très haute technicité, j’espère juste que la fiabilité est, ce coup-ci, au rendez-vous.

Modèle bipôle imaginé pour l'expédition Transantarctica (1989-90).

RM 028 de 2012

RM 50-04 "KIMI RÄIKKÖNEN" Tourbillon Chronographe à rattrapante. Une certaine continuité dans le style pour son créateur Richard Mille.

J’ai, à ce sujet, retrouvé une lettre que j’avais écrite à l‘époque au SAV pour me plaindre des pannes à répétions et dans laquelle je disais trembler à l’idée que cela puisse arriver à Jean-Louis Etienne lors de ces expéditions. Je ne me souviens plus si mon trait d’ironie avait eu un quelconque effet commercial, toujours est-il que j’ai fini par me lasser de ces changements de piles à répétition et que je suis passé à autre chose.
Mais là, sur mon poignet, pile neuve en place donc, je reviens 35 ans en arrière et me dis que même si elle n’a pas toujours su me donner la bonne direction à suivre, elle a eu au moins le pouvoir de remonter le temps et m’aider à me repérer dans ce passé dépassé.

Steve Desk 21/07/21