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Jim Clark

ou l’oxymore au tournant…

Jackie Stewart lui-même en aurait fait son maître s’il en avait eu la nécessité – et pourtant, Jim Clark était un héros discret.
Excepté auprès des passionnés de la première heure et malgré un palmarès implacable au regard de ses 9 années de compétition, il est tombé dans un relatif anonymat aujourd’hui.
Fermier écossais, il cultivait les paradoxes ; ancré au sol et attaché à sa terre qu’il n’a jamais cessé de cultiver, il excellait comme peu à survoler les courbes des circuits avec une fluidité inversement spectaculaire à son efficacité. “Il donnait l’impression d’aller doucement alors qu’il allait très vite“ disait de lui son compatriote Stewart.

Dans une discipline qui veut voir la bravoure morbide se traduire en flamboyance, à l’instar d’un Denny Hulme qui n’avait pas, bien sûr, son style, les pilotes effacés sont vite effacés.

Un soleil réchauffe les cœurs plus qu’une étoile filante. Pour rester au sommet dans le panthéon des pilotes, il faut avoir gagné beaucoup et longtemps. Ses 8 années en F1 n’avaient pas épuisé le potentiel de Jim Clark et il aurait pu et dû briller plus longtemps en marquant d’une empreinte autrement plus profonde les Champs Élysées de la course automobile.

À la ville ou en course Jim était fidèle à son Enicar Sherpa Graph.

D’aucuns diront qu’il est inutile de s’appesantir sur les qualités de pilote de Jim Clark, tout le monde les connait. C’est vrai, les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 72 grands prix il s’est adjugé 33 pole positions, 25 victoires pour 32 podiums et bien sûr deux championnats du monde (1963 et 65).
Il faudra attendre Eyrton Senna, 25 ans plus tard, pour voir son record de pole position battu, mais en pourcentage, par rapport au nombre de courses courues, le constat est encore plus troublant, puisque seul Fangio est devant avec 56,86% pour 45,83% à l’Ecossais.
Si l’on regarde le très symbolique nombre de hat tricks, c’est également édifiant avec encore aujourd’hui une troisième place derrière M. Schumacher et L. Hamilton pour 11 hat tricks.
Bien sûr, les championnats se déroulaient alors sur une dizaine de GP mais la performance reste monstrueuse.

Alors pourquoi cet effacement populaire ? Une histoire de temps passé au firmament certainement et dieu sait que le temps est l’obsession première des pilotes. Le temps au tour, le temps que les autres ont réalisé, le temps qui me sépare de mon poursuivant ou de celui que je suis et qu’in fine je suis, car au tour par tour, un pilote finit par être “un temps“.

Pour l’accompagner dans cette quête chronométrique au sens premier du terme, et d’une manière très cohérente, Jim Clark avait jeté son dévolu sur une montre très discrète de la marque Suisse Enicar. Discrète certes, mais il faut préciser qu’en ce début des années 60 les montres n’avaient pas encore le statut valorisant qu’elles acquerront - merci Jack Heurer - dans la décennie suivante.

Une pureté intemporelle qui rappelle la Rolex Chronograph 6238 sortie à la même période.

Sans tomber dans le cliché de l’Ecossais “économe“ Jim Clark avait quand même signé un partenariat suffisamment sérieux avec Enicar pour avoir à assurer des réclames vantant les mérites de la marque avec un slogan sérieux lui aussi : “Choose one, you will not regret it.“
Ce n’était pas un précurseur, Stirling Moss et Phil Hill l’avaient précédé de quelques années également chez Enicar.

Elle valait quoi cette Sherpa Graph ? Et bien, ce n’était rien moins que l’équivalent des Rolex Daytona, Omega Speedmaster et autres Heuer Autavia d’alors !

La maison Enicar, (anagramme acyclique du nom du fondateur Monsieur Racine…) est née un peu avant la première guerre mondiale et a surtout été reconnue et connue avec sa gamme « Sherpa » dont l’origine du nom vient d’une expédition sur l’Everest qu’elle avait sponsorisée en 1956. Cette gamme était composée de la Sherpa Diver (plongeuse), la Sherpa Super Divette (Super Compressor), ainsi que la Sherpa Graph (chronographe de course) qui nous intéresse aujourd’hui.
En ce qui concerne sa montre fétiche, c’était une Sherpa Graph version MK1b et elle était motorisée par le déjà très fameux Valjoux 72, comme pour la Rolex Daytona ou l’Universal Genève “Nina Rindt“, c’est dire le sérieux du chrono.

Le très couru calibre Valjoux 72 commun à de nombreuses marques dont Rolex…

Le cadran est un classique trois compteurs avec le compteur des minutes à 9 heures, celui des secondes à 3 h et celui des heures à 6 h. Sur son pourtour, une lunette intégrant une échelle tachymétrique graduée jusqu’à 300 km/h. Il était fini dans un argent mat très élégant mais d’autres déclinaisons plus contrastées de type “Panda“ noires avec des compteurs blancs suivront par la suite. L’ensemble est enchâssé dans un boitier réputé de 40 mm de diamètre plutôt considéré comme grand à l’époque et fabriqué par les établissements Ervin Piquerez S.A. à La Neuveville en Suisse. Le bracelet était un Tropic en caoutchouc blanc perforé plus rare que la version noire habituelle.

C’est le type de montre intéressante en collection car Enicar n’ayant jamais vraiment exploité sa notoriété dans l’univers de la course, elle reste méconnue et donc sous-cotée malgré la qualité de ses composants. Le graal serait, bien sûr, de trouver une des 10 montres offertes aux mécaniciens de Jim Clark et dédicacées pour son premier titre de champion du monde de F1 en 1963, mais sinon, on en trouve dans une fourchette de 10 à 20k€. Attention, seule la référence MK1b (absence du mot tachymètre sur la lunette intérieure) peut être considérée comme LA montre du grand Jim, celle qu’il a portée très fidèlement de 1963 à 1966.

Une des 10 Sherpa Graph offertent aux mécaniciens de Jim pour son titre F1 de 1963.

Car la fidélité était également une autre de ses caractéristiques lui qui n’a connu qu’un employeur en la personne de Colin Chapman…à moins que cette fidélité soit le corolaire de son indécision congénitale. Il était, paraît-il, impossible d’aller au cinéma ou au restaurant avec lui, tant il retardait son choix au point qu’une fois celui-ci enfin fixé, l’établissement avait fermé !

Par la suite, il a tout de même changé de montre et s’est entiché (comme Graham Hill) d’une Breitling Navitimer 806. Il pilotait alors un avion privé qui le ramenait régulièrement sur ses terres écossaises et cela devait mieux convenir à son usage d’alors. Par ailleurs, en fin technicien à l’affût des nouvelles technologies, il ne pouvait rester insensible à cette montre qui intégrait – une première en 1952– une règle à calcul sur des lunettes intérieures circulaires et coulissantes. Elle lui permettait d’effectuer tous les calculs liés à la navigation aérienne, comme la vitesse moyenne, la distance parcourue, la consommation de carburant, le taux de montée ou de descente ou encore la conversion de miles en kilomètres ou miles nautiques. C’est d’ailleurs grâce à ces caractéristiques que la Navitimer est devenue la montre officielle de l’AOPA (Aircrafts Owners and Pilots Association), la plus grande association de pilotes au monde.

Breitling Navitimer 806. “Navi“ pour naviguation, la montre d’aviateur par essence.

Rare version siglée AOPA, montre officielle de l’association des pilotes américains.

La Navitimer 806 est équipée d’un excellent calibre Vénus 178, sur base Vénus 175, développé par Venus Ebauches SA à Moutier au milieu des années 30 et fabriqué de 1940 à 1966. Produite en assez grande quantité, on en trouve facilement à partir de 3 000€ (mais beaucoup plus pour les modèles estampillées AOPA…).

Le beau calibre Vénus 178 de la Navitimer

Enfin, beaucoup plus proche de nous, la marque ARPIEM a tenté de s’approprier l’aura pâlissante de ce coureur d’exception. Dédiée au champion écossais, le modèle Chronographe Racing Tribute TJC-2, multiplie assez naïvement les clins d’œil appuyés vers son pedigree et sa courte carrière. Au menu un cadran vert et jaune aux couleurs de Lotus, des sous-cadrans en forme de compteur de voiture de course et un index 25 en rapport à son nombre de victoires en F1, il y a même une légende à 6h qui indique "Racer-Farmer" et faisant référence à son passé de fermier en Écosse…n’en jetez plus !

Chronographe Racing Tribute TJC-2 en mémoire de Jim Clark produite par la société française ARPIEM qui exploite le créneau des montres de pilotes de courses.

Produite en France en série limité à 500 exemplaires, elle est animée d’un mouvement chrono quartz suisse RONDA Z50.
Assez voyante et légèrement prétentieuse eu égard à son capital technique, pas sûr que cela soit un hommage à la hauteur d’un pilote aussi élégant, précis et discret, il n’y a guère que son prix très serré (320€) qui, peut-être, lui aurait convenu…

Steve Desk 17/11/23