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PORSCHE DESIGN

L’invention d‘un Top Gun !

Ferdinand Alexander Porsche, alias Butzi, alias FA…1935/2012

Autant le poser tout de suite, question Porsche, je suis une midinette, j’aime tout ! L’histoire (excepté bien sûr l’histoire peu reluisante de la marque soutenant le régime nazi…), le style, l’esprit, et bien sûr la conduite car ayant eu la chance de posséder quelques exemplaires, aucun ne m’a déçu. Si on ajoute à cela, une formation de designer dans les années 80 et une appétence inextinguible pour les montres, on comprendra aisément que je ne sois pas resté insensible à la production horlogère du Porsche Design Studio fondé en 1972 par Ferdinand Alexander Porsche. Je suis même aller voir Top Gun 2 pour savoir si Tom Cruise avait bien conservé sa montre Porsche Design du premier volet !

En 1986, on ne peut pas dire que Maverick soit un early adopters, mais au moins il est resté fidèle !

Mais comment réussir à parler de ce pléonasme qu’est rapidement devenu Porsche Design ?
On connaît l’histoire, beaucoup d’égo, un soupçon de marivaudage et pas mal d’argent, soit le cocktail idéal pour qu’en cette fin des années soixante, les frasques des instances familiales de la marque – les Porsche et les Piech – finissent par lasser le patriarche Ferry. Intelligemment, il décide alors de virer des fonctions exécutives tous les membres des deux familles. Ils devront se contenter de siéger au conseil d’administration et ou de recevoir, en tant qu’actionnaires, de généreux émoluments pour aller voir ailleurs, lui seul restant aux manettes en tant que directeur exécutif jusqu’en 1992.

Butzi, le petit-fils du fondateur et le fils de Ferdinand Anton Ernst Porsche n’échappe pas à la purge malgré ses états de service au sein du studio de design intégré qu’il dirige , car il peut s’enorgueillir d’avoir signé les dessins iconiques de la 904, sa préférée, et surtout de la 901 future 911.
Le voilà dehors, “au chômage“. Mais un petit retour sur ce prodige bien né, s’impose.
Après des études dans une école Steiner aux conceptions pédagogiques plutôt ésotériques, il intègre la fameuse École Supérieure de Design d’Ulm (Hochschule für Gestaltung) où la rigueur et le fonctionnalisme tiennent lieu de mantra. Dirigée au départ par des anciens du Bauhaus et notamment Max Bill, cette école, née après la guerre grâce à des fonds américains, prône une approche scientifique et neutre du design en lien étroit avec l’industrie. L’institution située à Ulm donc, prend sienne la formule édictée par l’architecte Louis Sullivan à la fin du 19e siècle et adoptée par le mouvement moderne européen jusqu’au mitan du 20e siècle : “Form follow fonction“.
Au vu de ses états de service par la suite et des productions qui sortiront du studio de FA Porsche, on pourrait croire qu’il fut fortement influencé par cette école mais, pourtant, il n‘y reste qu’un an après s’être fait renvoyer au titre d’une soi-disant inaptitude. En réalité, les créateurs de l‘école étaient des humanistes antinazis de la première heure et il se peut qu’ils aient tout simplement eu du mal à accepter que le rejeton d’une famille passablement liée au développement industriel du 3e Reich revendique un jour l’obtention d’un diplôme de leur établissement.
Éconduit par l’institution scolaire, il rentre alors en formation, en 1958, au département de conception de carrosserie de l’entreprise familiale sous la direction du directeur du design Erwin Komenda. En 1962, il prend la direction du studio de design Porsche qui accouchera un an plus tard de la remplaçante de la 356 devant sortir la marque de son positionnement de petit constructeur pour initiés.

10 ans plus tard donc, Ferdinand Alexander fonde sa propre entreprise de design industriel, Porsche Design, à Stuttgart, en Allemagne. Le studio sera transféré en 1974 à Zell am See, la ville d'Autriche où Butzi, qui a la double nationalité, a passé son enfance et où la famille Porsche possède un domaine appelé Schüttgut.
Le premier produit créé par Porsche Design est une montre. Sa conception a commencé alors que F.A. travaillait encore au bureau de style Porsche. Elle a été lancée en 1973 et se distinguait des autres montres-bracelets chronographes par son boîtier et son bracelet en acier noir mat. Contrairement à une légende médiatique largement entretenue par la marque, ce Chronograph 1 (réf. 7176S) n’était pas la première montre à employer une finition noire pour son boîtier.

Chronograph 1 Porsche Design… la première !

Une des toutes premières black watch se trouve chez Omega, c’est la Seamaster ST “Métal noir“ 145.0023 que les collectionneurs appellent officieusement “Darth Vader“. Sortie en 1970 à quelques centaines d’exemplaires (peut-être moins), elle est excessivement rare et, qui plus est, en bon état (le boitier est en acier durci par un bombardement de tungstène mais il a une fâcheuse tendance à s’écailler avec le temps).

Chrono Omega seamaster ST 145.0023 “Darth Vader “.

Plus tôt encore, en 1971, Heuer innovait radicalement avec le modèle Temporada, équipé d’un calibre Valjoux 7733 manuel dont le boitier, en plastique thermodurcissable noir, est une des premières utilisations d’un matériau de synthèse visant à faire baisser le prix de revient.

Heuer Temporada, la première osant le noir mais en plastique…10 ans avant les Swatch !

En fait, l’originalité du Chronograph 1 est surtout due à sa finition en PVD (dépôt physique en phase vapeur) alors uniquement utilisée dans le milieu industriel et qui, outre sa couleur noir mat, a l’avantage de durcir la surface de l’acier employé pour la fabrication du boîtier et du bracelet associé. L’ensemble est clairement inspiré des cadrans utilisés dans l’univers automobile puisque Ferdinand Alexander déclarait un peu avant sa mort "Mon objectif était de créer une montre assortie à la voiture. Noire comme le compteur de vitesse et le compte-tours de la 911, car il n'éblouit pas à la lecture." Chez les pilotes, Clay Regazzoni en était d’ailleurs un grand fan de même qu’Andretti qui l’a portée tout au long de la saison 1978.

Mario Andretti en 1978, un fan de la première heure.

L'histoire raconte qu'après le Grand Prix du Brésil, Andretti est allé se promener sur la plage d'Ipanema et s'est rapidement endormi. Pendant sa sieste, quelqu'un a volé son Chronograph 1. Lorsque l’information est arrivée à Butzi, il lui a rapidement envoyé une montre de remplacement qu'il a portée jusqu’à la fin de cette saison-là et c'était à son poignet qu'il est devenu le champion du monde de Formule 1 à Monza.
L‘automobile traverse d’ailleurs cette aventure horlogère. Bien sûr, Porsche n'était pas un horloger. Pour collaborer avec lui sur sa montre, il a choisi Orfina, une société suisse appartenant à un pilote de voiture de course italien nommé Umberto Maglioli qui avait terminé sa carrière avec… Porsche Racing !
Pour les chineurs, les modèles du début ont le nom "Orfina" au-dessus des fenêtres de la date du jour, tandis que les modèles plus tardifs ont le logo Orfina au-dessus de ces fenêtres. Sous ces guichets se trouvent les mots "Porsche Design".

Chronograph 1 Porsche Design deuxième mouture avec le logo Orfina au-dessus de la date.

Question “motorisation“, elle a été l'une des toutes premières montres à utiliser le fameux calibre Valjoux 7750. Il est devenu rapidement un must car capable de fournir un grand tachymètre — bien sûr — intégré dans un rehaut entourant le cadran, un compteur 30 minutes à midi, un compteur 12 heures (clé des courses d'endurance) à six heures, des secondes continues à neuf heures, le jour et la date indiqués dans un jeu de guichets à trois heures. Il proposait ainsi, dans le contexte des chronographes sportifs de l‘époque, une quantité énorme d’informations ainsi qu'une vitesse de vibration de 4 Hz, un remontage ultra-efficace et enfin une fiabilité hors pair. Ce tour de force a été conçu par un brillant ingénieur horloger nommé Edmond Capt. Capt a été embauché par Valjoux dans l’optique de créer rapidement un mouvement chronographe automatique intégré pour répondre à la sortie du Zenith El Primero et du Calibre 11 Buren en 1969. Capt a utilisé le mouvement 7773 à remontage manuel comme point de départ, et avec l'aide des ordinateurs naissants, il fut capable de créer un mouvement qui en remplaçant la roue à colonnes par une came oblongue devenait beaucoup plus facile et moins coûteux à industrialiser.

Le calibre Valjoux 7750 un best-seller robuste et précis.

Vers 1975, l’industrie horlogère mécanique s’est trouvée totalement décimée par la prise de pouvoir du quartz. Cela provoqua des attitudes radicales chez les dirigeants comme chez les ouvriers spécialisés qui voyaient en un éclair de court-circuit disparaitre leur savoir-faire en même temps que leur raison d‘être. Dans cette veine hystérique et désespérée, la société Valjoux a ordonné à Edmond Capt de détruire tout ce qui concernait son œuvre, le Valjoux 7750. Au lieu de cela, il prit sur lui de cacher tous les outillages exactement comme Charles Vermot chez Zenith le fit avec le mouvement El Primero. Pourtant, à contre-courant (électrique) de la tendance qui, le croyait-on alors, allait emporter les acteurs historiques de l’horlogerie, l’incroyable Butzi persista dans la production d’un chronométrage mécanique.
Mais, avec la fin brutale de la fourniture de mouvements Valjoux 7750 (il ne serait relancé qu'en 1984 par Théodore Schneider pour le Breitling Chronomat), lui et Maglioli ont dû se tourner vers un autre fabricant mythique de mouvements de montre nommé Lémania. Pour information, c’est Lémania qui fournit le calibre 2310 permettant à Omega en le rebaptisant 321 d’aller sur la lune.

Lancé en 1974, le calibre 5100 est un mouvement ultra-radical. Il a été créé spécifiquement pour être le mouvement le plus fiable, le plus résistant aux chocs, le plus lisible et le moins cher possible à produire. Pour arriver à ces objectifs ambitieux, aucun pont ou plaque n’est fraisé – tout est estampé. De plus, le mécanisme utilise largement le Delrin (Polyoxyméthylène POM), un plastique de haute performance qui a été utilisé notamment pour les roues du jour et de la date, la came de commutation et la plaque d'embrayage chronographe. Le mouvement lui-même est entouré d’une bague tampon également en Delrin pour l'isoler des chocs dans le boîtier de la montre. Enfin, le mouvement utilise un embrayage vertical, ce qui signifie que le chronographe peut être laissé en marche indéfiniment sans effet négatif sur l'isochronisme. Le rotor intègre également un roulement en acier durci et est maintenu en place à l'aide d'une fourche. Comme le Valjoux 7750, le Lemania 5100 fonctionne à 4 Hz et le jour et la date sont à réglage rapide. En clair cela signifie que ce mouvement réussi la prouesse d‘être à la fois rustique et donc fiable mais également précis et performant. Une quadrature qui fait inévitablement penser au moteur flat six de la marque dont les abords peuvent paraître archaïques mais dont le rendement et l‘agrément restent inégalés.

Le calibre Lémania 5100, un tracteur mais pour Porsche !

Graphiquement et pour les pointilleux que sont les amateurs de montre quand ils se doublent d’une attirance pour l’autre marque au cheval cabré, le côté cadran du nouveau modèle de 1975 équipé du Lémania 5100 a entraîné une refonte subtile mais importante de l'Orfina Porsche Design Chronograph 1. Ainsi, le mouvement se distingue par un compteur de minutes central monté de manière coaxiale sur le pignon du canon avec l’aiguille du chrono secondes. Cette aiguille des secondes du chrono reste rouge, mais le compteur de minutes est blanc. À 12 heures, on trouve maintenant un sous-cadran qui affiche l'heure dans un format de 24 heures, tandis que le compteur de chrono de 12 heures et les secondes continues se trouvent respectivement à six et neuf heures. La confusion vient de ce que cette évolution majeure (plus spécifiquement connue sous le nom de référence 7177 et 7178) est également appelée Porsche Design Chronograph 1.
Notez que ces montres ont été fabriquées en versions civiles et militaires pour diverses forces aériennes, marines et bien sûr pour la Bundeswehr ouest-allemande.

Variante de la Chronograph 1 pour l’armée du Pérou (FAP / Fuerza Aérea del Perú ) très friande de belles montres (Rolex et Omega entre autre…).

Dans le cas des montres militaires, le logo Orfina a été remplacé par l‘intitulé “Military“. Elles sont généralement équipées d'un bracelet en cuir deux pièces de style Bund en lieu et place d'un bracelet métal. Par ailleurs, comme elles devaient être utilisées dans un poste de pilotage, le tachymètre a souvent été remplacé par une échelle de 12 heures pour améliorer la lisibilité de la lecture du temps. Toutes les montres militaires Porsche Design Chronograph 1 sont équipées du calibre Lemania 5100 et non du Valjoux 7750. Enfin, elles possèdent également quelques détails spécifiques comme l’aiguille du compteur des minutes qui est noirci par un pointeur en forme d'avion orange sanguine, une gravure approfondie sur le dos du boîtier et surtout elles ont été produites en différentes couleurs de boîtiers et de bracelets, associées à des cadrans spécifiques (NATO, Tiger, 3H, etc…).

Le détail qui fait la montre de pilote…

On trouve des finitions PVD Noir Mat, PVD Olive mat, PVD Nato Gris (Gris étain), argent satiné (verre perlé) et 25 exemplaires en or pâle satinée pour l’United Arab Emirates Air Force, bref, un supplice pour tous les collectionneurs.

Version militaire en vert olive mat… très rare et so chic avec votre loden…

Version militaire dans son costume noir mat… indémodable !

Version militaire pour la Bundeswehr dans sa variante acier microbillé.

Version militaire en série très limitée pour la Royal Navy à priori jamais livrée et donc très très rare. Elle vient avec un bracelet spécifique semi-rigide à larges maillons

Version UAE Air Force, plaqué or et 25 exemplaires…the graal.

Produit et conçu comme accessoire pour les conducteurs Porsche, ce premier modèle fut vendu par les concessionnaires de la marque. Malgré la déferlante des montres à quartz à cette époque, ce fut un succès total et il s’en écoula 50.000. Elle est donc assez facilement trouvable même si pour la version noire (le gris satiné était également proposé) le revêtement est rarement resté intact avec le temps (comptez autour de 3 000€ suivant l’état mais le double pour les versions militaires). Vous pouvez également vous rabattre sur des rééditions contemporaines aussi nombreuses que limitées toutes intégrées à la gamme Porsche Héritage toujours très bien dessinées et marketées mais qui semble donner l’image d‘une marque à l’arrêt, moteur au ralenti. Pour autant, les montres restent l’une des activités principales de Porsche Design. En 1996, l'horloger suisse Eterna, inventeur du roulement à billes pour le rotor de remontage utilisé dans les mouvements automatiques, a même été racheté par F.A. société d'investissements.
Après ce succès qui ne se démentit jamais, le FA Porsche enchaîna les projets les plus divers dans une liste à la Perec où la création toujours juste ancra le studio parmi les acteurs majeurs du design des années 1980 à 2000. Et, même si Porsche Design ne cessa de produire d’autres montres incroyables, ce Chronograph 1 reste à jamais le premier, The One.

Steve Desk le 04/07/2024